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L’Obs
N° 2799 du 28 juin 2019
par Jérôme Garcin

Un amour interdit

LETTRES DE L'AMI ALLEMAND, PAR YVES GOURMELON


*** Camaret-sur-Mer (Finistère), novembre 2012. Antoinette Kergroach s’éteint, à 98 ans, dans un foyer pour personnes âgées. Trois mois plus tôt, son fils, le metteur en scène de théâtre Yves Gourmelon, commence à débarrasser la maison Phénix pleine de vieilleries branlantes où, décharnée et mutique, Antoinette ne reviendra plus. Dans le placard de sa chambre, il trouve, bien ficelé, un paquet d’une centaine de lettres que le temps a jaunies, la première étant datée de mars 1944. L’homme qui écrit à sa mère et lui donne du « mon chou » s’appelle Josef Ofmann. Il fut son grand amant allemand. Elle fut donc la maîtresse de l’occupant. Pour son fils, c’est un choc d’autant plus fort qu’Antoinette n’en avait jamais parlé. A peine s’étonnait-il, enfant, de l’entendre exprimer sa détestation viscérale des Américains et de l’immense croix de Lorraine en granit ou de voir débarquer en Bretagne, pour les vacances, une mystérieuse fillette allemande, qui jouait avec lui. Pour le petit Yves, la Seconde Guerre mondiale était surtout incarnée par son père, Alexandre, qui avait épousé Antoinette en 1945, après s’être illustré dans la marine, en combattant les « Boches ». Et voici que la fierté d’avoir eu un tel père était soudain contrariée par la gêne - car il n’est jamais question de honte, le fils raconte sans juger - d’avoir eu une telle mère. Antoinette avait rencontré Josef, lorsque l’armée du Reich, où il était interprète, avait envahi, en 1941, la presqu’île de Crozon. Ils s’étaient follement aimés sans se cacher. Une fille était née de cette liaison interdite et morte un mois après. A la libération de la presqu’île, en mai 1945, le soldat Ofmann fut arrêté par les FFI, fait prisonnier à Quimper, puis envoyé comme« esclave » [sic] aux
Etats- Unis et ensuite en Angleterre, avant d’être admis rentrer à Cologne. Le plus incroyable est que, pendant plus de cinquante ans, Antoinette et Josef continuèrent de s’écrire et refusèrent de faire le deuil de leur passion des années noires. (Une photo de 1995 les montre même, octogénaires et enlacés, à Camaret.) Lettre après lettre, comme autant de pièces d'un puzzle en noir et blanc, Yves Gourmelon recpnstitue cette histoire qui échappe à la raison et à la morale. Il comprend, sur le tard, pourquoi le mariage de ses parents avait été « arrangé », comment leur couple avait naufragé, ce que cachaient les colères de son père, les silences de sa mère et aussi le suicide de sa sœur. « Je suis, écrit-il, un rescapé. Mille fois la possibilité de non-naître. Encore aujourd’hui, quand je nage, je ne peux m’éloigner de la rive sans un sentiment de panique. » Avec ce livre, grâce à ce livre, il ne risque plus de se noyer.
JÉRÔME GARCIN

 

 

 

L’Obs
n° 2719 - 15 décembre 2016
«Lé Détachement du monde »
par Denis Drummond

« Voici un roman fou – on n’y est plus habitués – qui traverse le monde et le temps, où l’on rencontre des papous chamarrés, des hommes poissons, des liseuses de pierre appelées « Ecarlates », où pousse l’arbre des langues aux ramifications innombrables, et dont la prose déborde de couleurs, de métaphores, d'oracles et de sortilèges.
Depuis une ancienne filature de soie toscane entourée de vignes jusqu’à l'effervescente forêt de Papouasie-Nouvelle-Guinée, et de la course du Palio de Sienne à l'ascension du Mont Hagen, en passant par Paris la nuit et le Bade-Wurtenberg sous la neige, ce récit initiatique retrace la longue quête menée par la linguiste Josapha, hantée par l e passé, terrifiée par l’avenir, pour retrouver ses parents morts, sa langue disparue, son identité secrète. Un rêve passe, ce livre 1’exalte, écrit par un poète qui a lu Héraclite et Bachelard. »
Jérôme Garcin

 

L’Obs
11 au 17 février 2016
HUMEUR
par Jérôme Garcin


« LE
PALAIS D’ÉTÉ »
de Serge VELAY


’’Merci de ne pas passer à côté de ce très beau petit livre, qui ne s’avantage pas et qui se mérite. Publié chez Domens, à Pézenas, sous une couverture janséniste, signé par un écrivain nîmois que ses textes sur Novalis ou Char, ses poèmes, fragments et inventaires ont rendu précieux, mais pas célèbre, « le Palais d’été » (13 euros) est en apparence, un album de regrets. Serge Velay se remémore en effet son ami Jean Carrière, disparu en 2005 et dont « l’étoile a pâli », qu’il allait autrefois visiter dans sa maison de Domessargues. Le romancier de « l’Épervier de Maheux », prix Goncourt 1972, y vivait toujours derrière des volets clos. Car la lumière du Gard et la beauté du monde faisaient souffrir cet homme à « gueule d’Indien » qui pleurait encore son paradis de l’enfance et ses parents musiciens. Bienheureux et si douloureux Jean Carrière. Il aimait Héraclite, Giono, Ravel, Melville, Sigourney Weaver, et ne s’aimait pas. « Il avait demandé à la littérature plus qu’elle ne peut donner », écrit celui qui l’a accompagné jusqu’à son dernier soupir et le fait revivre aujourd’hui dans une prose enchanteresse. Ce portrait fraternel de l’auteur d’« Un jardin pour l’éternel » se double d’un art cynégétique d’écrire et même d’un traité de sauvagerie, où Serge Velay répertorie les raisons qu’avaient ces deux grands révoltés de croire à la puissance des mots, à la musique des phrases, aux vertus de la solitude et à la présence des morts. Sur le bureau de Jean Carrière, assure son ami, rien n’a bougé, les feuilles et les stylos l’attendent.’’
Jérôme Garcin

 

La Marseillaise
17 août 2013

Delteil : J’ai été créé pour me tourner les pouces au soleil.


Avec «Delteil Soleil», l’écrivain audois Jean-Louis Malves célèbre la Saint Joseph avec un alphabet pour lui rendre hommage.
Les 26 courts chapitres de Delteil Soleil sont autant de fenêtres ouvertes par l’écrivain audois Jean-Louis Malves pour éclairer l’homme que fut son ami Joseph Delteil. Du « A » comme Alice, l’une des trois héroïnes pubères et vierges de Choléra qui se donne la mort par amour : « Alice se jeta dans le lac, en silence de tout son long, mais de telle façon toutefois que la bouche d’abord touchât l’eau et que cette mort commençât par un baiser », au Z de Zénon et de ses paradoxes comme celui du temps que traverse l’oeuvre du poète, les 26 lettres de l’alphabet assemblées avec la liberté d’un grand jardinier produisent une nouvelle floraison de mots. Mots que Delteil considérait comme des êtres vivants, mots qui dessinent une existence lumineuse, mots dont surgissent une soif nouvelle qui pousse vers les sources d’une oeuvre immense.
C’est le 4e ouvrage que Jean Louis Malves signe à la gloire de son ami Delteil. Ce frère audois avec qui il partage l’amour de leur département natal. On mesure à la lecture, ce que le Midi doit au poète – pas seulement par ce qu’il fut représentant en blanquette de Limoux – et réciproquement ce que le poète doit au Midi. Ce goût de la terre qu’on emporte avec nous sous les semelles, ce goût du sang et de la provocation que l’on a dans la bouche, cet accent effroyable au yeux des grands intellectuels vaniteux comme Derrida. « Delteil est un petit homme blond dont il faut passer sur son air si ordinaire, si pauvret, si empêtré, pour voir qu’il a des traits fins et un regard candide .»
Il faisait partie de ses individus qui ont l’art de s’attirer les foudres. A ses débuts, dans les années vingt, il fut associé au premier équipage des surréalistes. La parution, en 1922, de son premier roman Sur le fleuve Amour attire l’attention de Louis Aragon et André Breton, ce dernier le cite dans son Manifeste du surréalisme comme l’un de ceux qui ont fait « acte de surréalisme absolu ».
Puis vînt l’excommunication pour s’être attaqué à des sujets (les poilus, Jeanne d’Arc, Jésus…) en apparence plus conservateurs, touchant à la fibre patriotique encore à vif. « Suffisant pour déclencher la colère divine du clan Breton», souligne Jean Louis Malves. C’est à la suite de la parution de Jésus II dans les années 30 que Delteil rencontre Henry Miller avec qui il lie une profonde amitié qui donnera lieu à une longue correspondance rassemblée par le poète Frédéric Jacques Temple qui partage la retraite occitane de Delteil au même titre que Brassens et Soulages. «J’ai été créé pour me tourner les pouces, au soleil, sur une plage » affirmait Delteil avec un goût certain de la provocation.

Jean-Marie Dinh

 

 

 

El Watan
LE QUOTIDIEN INDEPENDANT

ALGER 19 avril 2007
Arts et Lettres


Evocation. Edmond Charlot

Un éditeur inventeur
Créées en 1936 à Alger, les Editions Charlot — du nom de leur fondateur Edmond Charlot (Alger, 1915-Béziers, 2004) — n’avaient rien de « chaplinesque » dans l’Algérie coloniale.
Deux films documentaires récents (2005 et 2007) et surtout deux ouvrages viennent de rappeler la grandeur de ce petit éditeur. Après avoir publié une bibliographie raisonnée et illustrée, Edmond Charlot, éditeur (Domens, mai 1995), Michel Puche préface une livre de Souvenirs d’Edmond Charlot, entretiens avec Jean-François Temple (Domens, février 2007), un poète du fonds et ami de Mohamed Racim. Edmond Charlot est entré dans l’histoire des belles-lettres en « inventant » un certain... Albert Camus et toute une pléiade d’écrivains regroupés autour d’une hypothétique « Ecole d’Alger », un cénacle d’amis plus qu’un mouvement ou un courant littéraire. Dans ce sillage, il devient l’éditeur des lettres françaises en exil lorsque Paris était sous occupation allemande, en publiant notamment L’Armée des ombres (1943) du résistant Joseph Kessel ou les Pages de journal (1939-1941) (1944) du défaitiste André Gide. Après 1945, Charlot jumela sa maison algéroise avec une autre parisienne, concurrençant sérieusement ses grandes consœurs, Gallimard et Grasset. Celles-ci étaient fort irritées par l’attribution de prestigieux prix littéraires (Renaudot, Femina) aux auteurs d’un confrère ayant eu l’audace de traverser la Méditerranée, avec en sus une prestigieuse revue littéraire, L’Arche. Le parisianisme et les réticences bancaires finissent par étrangler Charlot qui, après un dépôt de bilan, revient à Alger en 1950 pour n’éditer que quelques ouvrages et ouvrir une nouvelle librairie doublée d’une galerie d’art. Libéral pendant la guerre d’Algérie, sa librairie fut plastiquée par l’OAS à deux reprises en 1961 parce qu’il recevait son ami Himoud Brahimi * (lequel lui ramena un jour ses économies pour une éventuelle relance de la maison d’édition) et exposait Hacène Bénaboura*, grand Prix artistique de l’Algérie. Après l’indépendance, l’éditeur voulut poursuivre mais les autorités de l’époque le dissuadèrent, ayant opté pour une politique monopolistique du livre... Il quitta l’Algérie en 1969, laissant une de ses parentes, Mme Charlot, diriger sa première librairie jusqu’au début des années 1990. Située au 2 bis, rue Hamani (ex-rue Charras), ce lieu de lecture n’a pas perdu de sa dénomination initiale, Les Vraies richesses, puisqu’il se métamorphosa — et c’est heureux de le souligner — en bibliothèque municipale. Jusque dans les années 1970, la pancarte qui ornait la vitrine était restée, enseignant sentencieusement ce qui suit : « Un homme qui lit en vaut deux. » Dans cette minuscule librairie, Camus rédigea une partie de L’Etranger et on a vu défiler de grands auteurs, tels Saint-Exupéry qui, entre deux missions aériennes, acheva à Alger Le Petit Prince. Avisé, Charlot s’est très tôt intéressé aux écrivains algériens. Il publia les Chants berbères de Kabylie (1946) de Jean Amrouche (lequel joua un rôle considérable dans la gestion de l’entreprise et de la revue) ainsi que le premier roman de sa sœur, Marie-Louise Amrouche, Jacinthe noire (1947). L’éditeur reprocha à son ami Mouloud Feraoun de ne pas lui avoir soumis Le Fils du pauvre, objet d’une fin de non-recevoir de la part du seul Amrouche qui n’informa point Charlot. Toutefois, ce dernier commercialisa, sous son nouveau label, Rivages, le stock invendu du livre publié à compte d’auteur en France. Charlot faillit aussi publier le premier recueil poétique de Jean Sénac, Terre possible, et La Grande maison de Mohamed Dib, que seules les lancinantes contraintes financières empêchèrent. Sur la base de fines questions, l’éditeur relate avec pudeur et sérénité son itinéraire et ses pérégrinations autour de la Méditerranée (Algérie, Maroc, Turquie). Vers la fin de sa vie, Charlot ouvrit une ultime librairie-maison d’édition à Pézenas (sud de la France), une ville-foire où l’obscur Jean-Baptiste Poquelin devint véritablement l’illustre Molière. Avec le grand âge, cet « homme qui attirait les livres » sans en devenir riche céda son fonds à Jean-Claude Domens, un autre passionné qui poursuit l’esprit méditerranéen, en éditant particulièrement l’œuvre de notre compatriote Arezki Métref (dix titres parus).

*Himoud Brahimi, dit Momo, fut à la fois une grande figure et le chantre de La Casbah. Mohamed Zinet lui donna une consécration nationale et internationale en lui faisant jouer son propre rôle dans le film Tahia Ya Didou.
*Hacène Bénaboura (1898-1960), peintre algérien, classé parmi les peintres naïfs. Ses œuvres ont été exposées le mois dernier au Musée national des Beaux-Arts d’Alger.


Hamid Nacer-Khodja

 

le nouvel Observateur
05/04/2007


LIVRES

OVATIONS
Les lumières de Charlot
Il est mort en 2004 comme il avait vécu. Sous le soleil du Sud et dans l'ombre des écrivains méditerranéens. Né à Alger en 1915, libraire et éditeur, Edmond Charlot avait publié Albert Camus, Jean Grenier, Jules Roy, Max-Pol Fouchet, Jean Giono et Emmanuel Roblès. Dans les entretiens accordés au poète Frédéric Jacques Temple (Domens, 18 euros), Charlot ressuscite sa librairie d'Alger – les Vraies Richesses – , raconte comment il est devenu pendant l'Occupation l'éditeur de la France libre et du « Silence de la mer », évoque ses déboires parisiens, son retour à Alger où sa boutique fut plastiquée par l'OAS et son installation définitive à Pézenas, où il ne cessera de plaider pour la « Méditerranée vivante ». Il disait : « Je dois avoir une vocation, je crois que j'attire les livres. » Il attirait aussi les grands esprits et les âmes révoltées, dont il fut le confident.

Jérôme Garcin

 

 

le nouvel Observateur
22/03/2007


LE COUP DE CŒUR de Jérôme GARCIN :

La ballade d'Ardrossan de Denis Drummond

L'adieu au père

Le grand avantage de l’Ecosse, c’est qu’il y pleut et vente souvent. On peut pleurer dehors, en plein jour, sans se faire remarquer. Les larmes se confondent avec les gouttes d’eau, le chagrin est un paysage. Un homme, dont le père vient de mourir, part pour Edimbourg et de là pour une île afin de disperser ses cendres, du haut d’un rocher. C’était le dernier vœu du défunt, qui avait vécu en France et souhaité que sa poussière ocre pâle – « une teinte d’os broyés, calcination à la température du blanc fondant, la mémoire est écrue » – se mêle au sable de sa terre natale. Le fils s’exécute. C’est un poète qui croit à la force des symboles, au rituel du dernier adieu, et à la présence des absents. Il emporte l’urne ainsi que l’Evangile de Matthieu, dont il lira une page des Béatitudes face à la mer. Sur le ferry, il rencontre une Emilie jolie. L’amour accompagne la mort. Le premier roman de Denis Drummond fait feu de tout bois : tombeau, poèmes, lettres, chroniques, et même le journal de bord d’un navigateur du xviie en route vers l’Ecosse. Tout l’art de l’auteur, styliste lyrique, est de tisser, en même temps que différents genres littéraires, la mémoire et le présent, le rêve et la réalité, la douleur et la félicité. On dirait un tartan écossais. Sur la plaie vive, Drummond a mis un plaid multicolore. Avec une troublante délicatesse.
Jérôme Garcin

 


le nouvel Observateur
24/08/2006


LIVRES

OVATIONS
Un éditeur à suivre
Qui a parlé de centralisme culturel ?
Sises à Pézenas (Hérault), ville de grande tradition culturelle où joua Molière, les Editions Domens (04-67-98-11-97) existent depuis 1990. Elles comptent à leur catalogue des auteurs tels que Michel Butor et Jean Rouaud, de même que les poètes Denis Drummond et Tatiana Roy, dont les « Chants de l'inaccueillie » sont préfacés par Jacques Lacarrière. Le spectre des publications est très large, puisqu'il va des chansons de Boby Lapointe aux traductions originales de grands auteurs classiques tels que Sophocle et Shakespeare. Mais c'est sous l'impulsion d'Edmond Charlot, premier éditeur de Camus, qu'une orientation nouvelle a été prise en direction de la Méditerranée.
En témoigne aujourd'hui la publication de « Douar » d'Arezki Metref, roman sur l'exil d'un Algérien qui n'a de cesse de fuir la culture de la guerre.


Par Thomas Regnier
Nouvel Observateur - 24/08/2006

 

L'Humanité - vendredi 2 juinl 2006

L'identité au bout de l'exil
Itinéraire d’un intellectuel algérien, fuyant le terrorisme, réfugié en France, pays qu’il décrit à la manière de Montesquieu dans ses Lettres persanes.

Douar, d'Arezki Metref

Sur l’exil, l’identité, les romans, nouvelles et autres textes littéraires ou sociopolitiques ne manquent pas. Avec Douar, une saison en exil, Arezki Metref, journaliste, homme de théâtre et poète, s’inscrit dans cette tradition : « l’exil, écrit-il, c’est attendre. »
Dans son récit, le héros n’est pas un produit de l’immigration économique, un paysan déraciné, contraint de quitter sa montagne pour trouver du travail et faire vivre les siens restés au pays. C’est un intellectuel, un parfait représentant de cette « immigration choisie » avant l’heure. C’est un homme qui était loin de se douter qu’un jour, il serait à son tour forcé de partir pour fuir un pays où des tueurs islamistes ont décidé de lui faire la peau. Son périple sur le sol français s’apparente à un chemin de croix dont les stations sont les appartements prêtés par des amis français, les bistrots, les cabines téléphoniques, la ville où il rencontre un écrivain l’ayant précédé sur ces chemins de galère et surtout la préfecture où « alourdi d’un gros dossier », il faut avoir beaucoup de courage, prouver son « envie d’être intégré, d’entrer dans le cercle ». Autre station : la visite médicale, incontournable détour pour tout immigré demandeur d’asile. « La voix t’appelle. C’est une voix caverneuse de femme [...] Tu es là, obéissant, ruisselant de bienveillante docilité [...]. Non, Madame. Non, Docteur, je suis économe de ma gestuelle. J’ai des prédispositions au cartésianisme ». Et puis le bar kabyle des Argonautes où « noyer sa fatalité, c’est sa façon de rester patriote » et où les nouvelles législations sur le séjour des étrangers ne sont un secret pour personne : « À la longue, on devient des experts en droit des étrangers. »
Dans une langue métaphorique, empreinte de distance ironique, Arezki Metref croque ainsi sur le vif les personnages rencontrés ainsi que la société dans laquelle il a décidé de s’établir. Par moments, on pense au Montesquieu des Lettres persanes. Le héros - n’importe quel intellectuel immigré - essaie aussi de comprendre ce qui lui arrive. « Livré à la multiplicité du monde », l’exilé s’interroge sur sa confrontation aux autres et sur les apports qui fondent son identité : Berbère, Kabyle, Algérois, mais surtout universel.
H. Z.

 

Le Figaro - Lundi 12 avril 2006

 

LE LIVRE DU JOUR :

Un génie à Pézenas
Le Prince et le Comédien, de Georges Bégou

Georges Bégou aime Molière, les femmes et sa bonne ville de Pézenas. Cela donne un roman vivant, qui se lit d'un trait, à la suite du prince de Conti qui trousse les belles, philosophe avec Molière, sous le regard sévère de sa sœur, la terrible Mme de Longueville. Ils sont tous là dans ce roman, historique, aux nombreuses péripéties, dont la principale qualité est de nous faire aimer une époque, la deuxième moitié du XVIIe siècle, une ville, Pézenas, capitale fédérale du Languedoc où le prince de Conti, frondeur en exil, a pris ses aises, un homme, Molière, infatigable, au service d'une passion, le théâtre, et d'un aristocrate, Conti, prince de sang, libertin, lettré. Jusqu'où ira leur amitié ? Bien sûr, Molière doit beaucoup à Conti qui, le premier, lui permet de s'imposer comme auteur. C'est à Pézenas qu'il écrit ses premières pièces, Le Médecin volant, L'Etourdi, Le Dépit amoureux, et qu'il entreprit Les Précieuses ridicules. C'est à Pézenas qu'il approche de près Conti, cet homme qui sent le soufre, ce grand seigneur méchant homme qui lui servira de modèle pour Dom Juan. Oui, à Pézenas, Molière fait mieux que travailler. Et "Si Jean-Baptiste Poquelin est né à Paris, Molière est né à Pézenas". Une jolie formule de Pagnol qui prend tout son sens dans ce roman joyeux, sensuel, qui respire le plaisir d'écrire.

Marion Thébaud

 

 

Le nouvel Observateur   2-8 février 2006
Lectures pour tous
Poésie


Ecritures humaines
par Denis Drummond
Il a été « montreur d’ours dans un lointain Caucase » et « pêcheur ivre sur une Neva gelée ». Il a connu un zèbre qui, ayant perdu ses rayures, les a cherchées de l’Oubangui au Caire. Il a mangé des pommes dans le désert. Avec joie, il a arpenté tous les continents du monde et, avec mélancolie, tous les royaumes intérieurs. Il écrit des poèmes comme on récolte dans les marais le sel de la vie, avec des gestes très anciens. En trois recueils d’une encyclopédie rêvée et illustrée, dont ce volume est l’épilogue, Denis Drummond a imposé son art rigoureux, généreux, lumineux.
Jérôme Garcin

 

Olé ! (n° 347 décembre 2004)

De que fasèm ?
un regard militant sur la viticulture

Jean Huillet

Les livres d'entretien avec des personnalités n'ont généralement pour but que de flatter leur ego. Celui-ci échappe à la règle. On y découvre en effet, à travers un entretien habilement mené toute l'histoire du mouvement syndical de la viticulture languedocienne depuis les années 70. Par ailleurs, sans vraiment légitimer la violence attachée à ce syndicalisme, Jean Huillet la présente comme la seule et ultime issue face à des pouvoirs publics le plus souvent sourds - quand ce n'est pas méprisants - devant les revendications des vignerons.

Mais il y a la grande et la petite histoire : la grande c'est celle des journaux et de la télé ; la petite c'est la cuisine interne du syndicalisme, les affrontements, les tentatives de récupération par le politique etc. A travers cette histoire-là, le livre nous présente aussi un homme mal connu mais pourtant présent et même à la pointe de tous les combats d'avant-garde. On y découvre en effet, au delà des motivations de Jean Huillet, au delà de ses fortes convictions, son humanisme et sa volonté de ne pas s'enfermer dans un discours corporatiste. Sa volonté également d'intégrer les luttes viticoles au mouvement social en général, sur le plan national ou européen. En bref on y découvre un homme intelligent - ce qui, avouons-le ne court pas les rues.

Un livre à découvrir de toute urgence pour comprendre pourquoi notre région est régulièrement secouée de la colère de ses vignerons. G.M.

 

 

Le Nouvel Observateur (22-28 avril 2004) :

Ecoute s'il pleut

de Denis Drummond

 

Avant d'ouvrir de recueil, on ignorait tout de l'auteur. En le fermant, et après avoir voyagé sur ses traces de l'île où résonnent des "voix argentines" à Chinguetti aux portes de l'Adrar et autres rivages, on est séduit par ce poète-passeur. A travers ses errances "à contre-temps des vents", il transmet des émotions fortes. Ses vers tissés de mots délicats sont comme "des tirroirs pleins d'oiseaux". Il créé des paysages et des mélodies, où l'on décèle une sonorité claire, propre à la viole de gambe (il est vrai que Denis Drummond en joue). C'est un musicien qui rend l'instant fragile comme une seconde. R.V.

 

 

 

 

Olé a lu :

Une petite fille bien ennuyée

de Nadine Loïs Guibert

" Livre étonnant que publient les éditions Domens. Si on en lit la quatrième de couverture, on s'attend plus ou moins à une sorte de récit pédagogique, bâti à partir de témoignages, ainsi qu'il est écrit "un outil, un soutien à la réflexion, à la parole autour de questions de maltraitance et de perversion."

Bref, on se prépare à quelque chose plein de bonne volonté mais loin de la littérature. Et c'est bien dommage, il faut souhaiter que le lecteur aille au delà et découvre un texte d'une émotion rare.

Nadine Loïs Guibert fait passer avec une telle force l'histoire de cette "petite fille bien ennuyée" que la gorge se serre. Je ne sais pas l'accueil que peuvent lui réserver des enfants auxquels le livre est destiné ("à lire accompagné à partir de 8 - 9 ans") mais les parents y trouveront certainement matière à réflexion. Enfin ce court récit est mis en page dans un "décor" de Jean-Charles Domens, très sensible, qui le renforce.

Une réussite."

Jean Pougnet. (Olé, 6 décembre 2000)

 

 

Au service du chemin de Saint-Jacques de Compostelle :

"Des pas vers les chemins. Gestation et mythe de Saint-Jacques de Compostelle"

de José Sales Albella.

" Les premières lignes s'ouvrent comme des vagues insaisissables, changeantes, se heurtant au mental comme l'écriture automatique. Une manière d'affrontement aux géants invisibles qui naissent pourtant à force d'être nommés : la parade colorée de ceux qui, à Santiago, pour lesFêtes de l'Apostol, se dandinent sous les bravos et le lancinant tumulte des "gaitas", au rythme des caisses et des tambourins. L'hispanité, toute de Méditerranée et de Cantabrique, s'engouffre "vers les chemins" de l'Atlantique Galice. Un patchwork forgé par les tribus, les microclimats et le relief, les batailles sanglantes et la sueur des moissons sur la Meseta. Il en émane un air de "cantigas" fondu dans le chant des marins de Noia...

Et puis, ces pas qui chahutent progressivement, délaissent leur étrangeté et s'assagissent, les images se font plus nettes, le tableau se resserre, le lecteur interpelé s'appesantit sur les idées : le livre s'ouvre à Santiago. Autant d'impressions d'où coulent le vrai, le regard clair, l'amitié sans complaisance. Les temps modernes n'y coupent pas qui sont ramenés dans la longue file des élèves buissonniers au retour de récréation divine.

Un artiste qui a composé son objet à dire : non sans rappeler ces miroirs sertis dans un cadre de bois peint à l'aquarelle, décoré de coquillages multicolores, que l'on trouve au soir de fête sous les derniers lampions, et qui, ramené dans la salle des repas quotidiens, y dira éternellement le voyage imaginaire qui fut si beau.

Un livre que le poète magnifie : la préface de Max Rouquette interpelle tout autant. Danse d'escarbilles.

Académie de recherche et d'études "Sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle" (revue trimestrielle N° 2 / 2000)

 

Marie BRONSARD

propos sur une écriture

par Dominique Mans, Directeur de CLLR (Agence de coopération en Languedoc-Roussillon)

Marie Bronsard est non seulement un écrivain rare, mais aussi un des rares
écrivains à l'écriture de femme. La littérature du travail au sens où l'on
dit de l'accouchement qu'il est travail. N'allez pas voir dans ses récits
une quelconque littérature de souffrance, il est plutôt question de
fabrication essentielle. L'art de Marie Bronsard est dans le procédé : son
écriture construit le récit loin de l'artisanat. Qu'il soit question de la
mort de son chat (In memoriam Cassiopée) ou de celle de sa grand-mère (La
légende) son écriture est celle de la littérature. Ses mots et les phrases
qu'ils constituent nous font entrer dans les êtres. Quelques mots nous
donnent une vie, un univers : " Elle n'embarquera plus. Il est trop tard.
Et elle ne l'attend plus. Ou peut être que si. Que cette attente seule,
désormais indéfinie - comme le sont aussi la faim, la douleur et la colère
- donne à son corps la force de s'arc-bouter contre l'exigence pressante de
la mort. "
Ses livres sont construits de cette force, ils se nomment récits. Ce ne
sont pas des romans : l'essentiel est dans le texte. En cela elle est
écriture de femme, qu'elle connaît et transmet plus intimement la substance
de la vie, en cela elle est écrivain : c'est de la littérature qu'elle nous
donne à lire.

les cris de l'hélikon, n°2, juin 99

 

 

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